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petites   histoires  et   grande  histoire

 

 

4- Romanisation  des  campagnes  de   Gaule

 

          En ayant la certitude que le terroir aujourd'hui hessois était habité à l'époque gallo-romaine, découvertes archéologiques à l'appui, nous pouvons supposer que l'occupation humaine s'est poursuivie sans discontinuer au cours des siècles suivants. La pérennité de l'occupation antique du sol est presque certaine, et ce jusqu'à nos jours : les établissements ruraux gaulois puis gallo-romains exploitant les terres hessoises seront nommés « manses » à l'époque carolingienne, tels ceux évoqués en l'an 847 dans un cartulaire de l'abbaye de Wissembourg. Quelques siècles plus tard, dans l'aveu et dénombrement rédigé en 1681 par l'Abbé de Haute-Seille Claude de Bretagne, seigneur de Hesse, ces petits habitats ruraux plus ou moins dispersés dans la campagne seront désignés sous le nom de « houbes », « tocques », « maisons » ou « hoff ».
          Parmi les multiples fermes de l'époque gallo-romaine viendront certainement s'élever d'autres masures, puis quelques habitations viendront à se regrouper, formant alors un hameau qui prendra le nom de Hesse. Il n'est pas impossible que le toponyme apparaisse dès le Ve siècle, au moment où ont été créées les premières paroisses rurales. Cette supposition est corroborée par les remarques des archéologues Jeanne-Marie Demarolle et Marcel Lutz, : « Des ruines, des terres en friche, une maigre population qui avait échappé aux massacres et à la captivité, voilà comment se présentait le Pays de Sarrebourg à la fin du IVe siècle, au moment où s'implantèrent les tribus germaniques en quête d'espace vital. (…) C'est aussi à l'époque de ces troubles et de ces invasions que le christianisme a dû pour la première fois pénétrer dans le Pays de Sarrebourg, bien que nous ne possédions aucune documentation sur les origines et les étapes de cette diffusion : il faut se contenter d'indices. Pratiquement, chez les Médiomatriques, l'existence du christianisme n'apparaît qu'après les persécutions, lorsque la liberté de culte est reconnue par Constantin, qui sera le premier empereur chrétien, en 313. (…) En ce qui concerne les titres des églises, ils ne fournissent eux aussi que peu d'indications (…) Peut-être certaines paroisses dont l'église a pour patron saint Laurent (à Fleisheim, à Hesse, à Romelfing) ont-elles leur origine au Ve siècle ? Ce ne sont pas des certitudes, seulement des présomptions. » [dans « Histoire de Sarrebourg » / ouvrage collectif]
          Acceptons donc l'idée qu'un petit édifice, lieu de culte pour la nouvelle religion, ait été édifié dès le Ve siècle en un lieu qui se nomme aujourd'hui Hesse ... à moins que ce ne fût au VIe ou au VIIe siècle, ce qui n'a pas grande importance, après tout ! L'important est de savoir qu'une communauté rurale chrétienne, une « parochia », s'est constituée très tôt sur ce terroir, à une époque où les populations des campagnes gauloises restaient pour la plupart obstinément attachées aux vieilles traditions de leurs ancêtres celtes, rendant toujours un culte aux divinités correspondant aux forces de la nature et aux nécessités de la vie, telles l'eau, le feu, l'air et le soleil. Il n'est pas interdit de supposer qu'une source du finage hessois ait été l'objet d'un culte païen depuis les temps protohistoriques, ce qui est suggéré par quelques mots de l'archéologue Marcel Lutz signalant les vestiges d'une villa gallo-romaine au lieu-dit Marjeac : « Dans la prairie, une source qui était peut-être divinisée. » Une autre source aurait pu faire l'objet d'un culte local : c'est celle de Vespach, lieu-dit situé près du village, tout près du quartier nommé la Chermenac. Cette dernière source a été utilisée par l'abbaye, au Moyen Age, pour créer un étang, lequel fut détruit dans les années 1840, lors de la construction du canal de la Marne-au-Rhin. Au lieu-dit Vespach existe encore toujours, en ce XXIe siècle, une zone marécageuse avec une petite retenue d'eau où certains particuliers pratiquent la pêche à la ligne.
          Le culte des divinités ancestrales gauloises fut combattu par Martin de Pannonie, évêque de Tours entre 371 et 397, qui fut le grand évangélisateur des « pagani », les peuples de la campagne. Celui qui devint saint Martin et ses disciples luttèrent contre les pratiques païennes, parfois manu militari, prônant l'abattage des temples et des arbres sacrés. Lorsqu'il était difficile de détruire, comme dans le cas de sources, ils procédaient autrement : un oratoire était construit sur le site, et le nom d'un apôtre, d'un martyr ou d'un saint y était attaché. Ainsi, le culte chrétien se substituait à un culte païen local, sans cependant priver le peuple de son lieu ancestral de dévotion. Dès l'époque mérovingienne, ces petites chapelles élevées dans les campagnes furent souvent placées sous la protection de saint Martin, en raison de l'ardeur qu'il avait mise durant son existence à combattre les cultes païens.
          « L'ancienne religion reste parfois en honneur jusqu'en plein VIe siècle. Plutôt que de détruire, on recommandera de transformer les temples païens en lieux de culte chrétiens. Saint Martin, le héros gaulois par excellence, ne sera certainement pas vénéré par hasard comme guérisseur et maître des sources miraculeuses. » [dans « L'origine de la frontière linguistique en Lorraine - La fin des mythes » / Alain Simmer]
          La première église de la « parochia » de Hesse, petite communauté rurale chrétienne, fut probablement une telle chapelle érigée en un lieu où les hommes se réunissaient pour honorer les dieux de leurs ancêtres, et où ils finirent par se réunir pour honorer le Dieu unique qui leur avait été révélé. La confirmation officielle de l'existence d'une communauté de chrétiens dans un endroit nommé Hesse nous est donnée bien plus tard, au XIe siècle, dans la bulle adressée en 1050 par le pape Léon IX « à l'église située au lieu qui s'appelle Hesse, dédiée à Marie, la sainte mère de Dieu, et aux saints Martin, confesseur, et Laurent, lévite, glorieux martyr, consumé par un feu purifiant ». Dans ce texte, le mot « église » désigne l'abbaye bénédictine qui venait d'être fondée à Hesse par la famille comtale de Dabo, et dont la première abbesse fut Gerberge ou Serberge de Dabo, nièce de Léon IX, fille de son frère Hugues IV d'Eguisheim-Dabo. Il est plus que probable que l'église abbatiale, placée sous le triple patronage de la Vierge, de saint Martin et de saint Laurent, ait été construite tout à côté de l'antique bâtiment qui servait de lieu de culte aux familles établies sur le terroir depuis des siècles et l'ait remplacé une fois la construction achevée. La première église paroissiale, où la communauté chrétienne avait obligation de faire baptiser ses enfants, d'assister aux offices, de s'y confesser et communier, et d'y payer la dîme, fut certainement une construction très rudimentaire, faite de bois et de torchis, couverte de chaume. Puis on peut imaginer qu'elle fut remplacée, peut-être au VIIIe ou au IXe siècle, par un bâtiment plus solide, en pierre, cet édifice étant peut-être lui-même agrandi lorsque l'abbaye fut construite au début du XIe siècle, devenant au fil des deux siècles suivants la majestueuse église abbatiale de style roman dont une grande partie subsiste encore en ce XXIe siècle. C'est ce qu'a supposé l'abbé Kuhn dans sa monographie sur Hesse rédigée en 1872 : « La nouvelle abbatiale fut même probablement élevée sur l'emplacement de l'église paroissiale, comme l'indiquent d'anciennes fondations. Le bras gauche du transept actuel est peut-être le chœur partiellement conservé de l'édifice primitif. »



La première église de Hesse



          L'église abbatiale attestée en 1050 est dédiée en premier lieu à la Vierge, puis au confesseur Saint Martin, qui est cité en second, ainsi qu'à Saint Laurent, martyr, qui n'arrive qu'en troisième et dernière place. Or les églises placées sous le patronage de Saint Martin ou de Saint Laurent sont en général désignées par les historiens comme des édifices dont la création remonte aux Ve, VIe ou VIIe siècles. Il serait plus exact de dire que c'est la création des paroisses placées sous l'invocation de ces saints qui remonte au haut Moyen Age : les églises rurales, en tant que bâtiments, ont été à l'origine des constructions en bois et en torchis, avec des toits en chaume, qui ont été au cours des siècles suivants remplacées par des édifices en pierre, couverts de toits avec charpente en bois et tuiles en terre cuite.
          A l'époque mérovingienne, « Saint Martin apparaît comme le patron par excellence du royaume et de la famille royale »*, bien que ce saint n'ait jamais été le patron unique du royaume, partageant cet honneur avec Saint Hilaire, Saint Médard, Saint Marcel et Saint Rémi, entre autre. Néanmoins, « aucun de ces saints n'égala la gloire de Saint Martin, qui resta jusqu'à Dagobert Ier le patron principal des Mérovingiens.(...) Le culte de Saint Martin atteignit son apogée dans la seconde moitié du VIe siècle. Certains renseignements sur les évêques nous permettent d'étendre cette limite encore au premier tiers du VIIe siècle. (…) La plupart des églises martiniennes dans les cités épiscopales datent de cette époque. (…) Dans les campagnes, l'évolution y présente le même aspect. » [dans « Le culte de St Martin à l'époque franque » / Eugen Ewig] Quant à comprendre pourquoi, dans la bulle de Léon IX, le saint confesseur est cité juste après la Vierge en tant que saint patron de l'église abbatiale, alors qu'en principe Saint Laurent, martyr, aurait rang de prééminence, il est permis de supposer que c'est parce que la nouvelle église a été construite à l'emplacement d'une chapelle plus ancienne, ayant été placée sous la protection de Saint Martin. Ce passage extrait du document rédigé par Eugen Ewig étaye cette supposition : « En choisissant comme titulaires de leurs basiliques et oratoires Notre-Dame, les apôtres, les martyrs et les confesseurs, les moines formaient les monastères selon l'image de la Jérusalem céleste avec ses chœurs de saints, qu'ils invoquaient dans les litanies. En tant que tel, il (Saint Martin) n'occupait pas le premier rang dans le groupe monastique, si l'on n'avait pas des raisons spéciales de l'y placer. »

          Si les Bénédictines de Hesse ont fait le choix de placer l'église de leur abbaye sous la protection de la Vierge, c'est parce que la tradition voulait qu'un couvent de femmes le fût. Si elles ont décidé que Saint Martin serait le deuxième patron, et non Saint Pierre, Saint Paul ou un autre apôtre, ce que firent de nombreuses abbayes, c'est qu'elles avaient une « raison spéciale » de le faire : l'Eglise interdisant de changer la titulature d'un édifice religieux, elles conservèrent Saint Martin comme titulaire, car il était le saint patron de l'église primitive, lui adjoignant Saint Laurent, sous l'invocation duquel l'antique édifice avait peut-être aussi été placé.


Hesse et le domaine temporel des évêques de Metz



          Lorsqu'en 1050 l'abbaye et la paroisse de Hesse accueillirent le Saint Père, Alsacien et Lorrain de par ses aïeux, venu dans sa région natale consacrer l'autel de la nouvelle église abbatiale, le pays de Sarrebourg était inclus dans le duché de Lotharingia, province que les Allemands nomment toujours « Lothringen » et que les Français désignent sous le nom de « Lorraine ». Il serait plus exact de dire : « une partie du pays de Sarrebourg » faisait partie de la Lotharingie, duché intégré à l'Empire romain germanique. En effet, certaines villes et seigneuries formaient le domaine temporel de l'évêché de Metz et constituaient une principauté ecclésiastique dont les nombreuses possessions territoriales étaient imbriquées parmi les territoires ducaux et d'autres principautés. Parmi ces villes et seigneuries figuraient la ville de Sarrebourg et « la terre » de Hesse.
          Le mot « temporel » s'oppose au terme « spirituel » et désigne tout ce qui ne concerne pas uniquement l'exercice-même de la fonction religieuse de l'évêque dans son diocèse. La puissance temporelle des évêques de Metz devint considérable grâce à la générosité des dynasties mérovingiennes et carolingienne, qui lui offriront des terres, des abbayes, des châteaux, des villes, des bourgs, mais aussi des hommes vivant et exploitant ce territoire. « Constamment avantagés de fondations et de présents royaux, les évêques possédaient dès le dixième siècle (…) des territoires déjà considérables, et qui, avec le temps, s'accrurent encore par suite de dons, cessions ou héritages. (…) En droit public, les terres dépendant de l'évêché de Metz constituaient un État indépendant, lequel était fief immédiat de l'Empire d'Allemagne. » [Cahiers de doléances des bailliages des généralités de Metz et de Nancy pour les Etats Généraux de 1789 / publiés par Charles Etienne]
          « L'évêque commença par incorporer du Ve au IXe siècle, en vertu de son pouvoir diocésain, les donations des églises établies les premières, celles qui s'échelonnaient dans les anciennes bourgades (vici), le long de la voie Metz-Strasbourg, telles Vic, Marsal, Sarrebourg, qui devinrent au IXe siècle chefs-lieux d'archiprêtrés. » [dans « Histoire religieuse du Moyen Age en Lorraine » / Société Lorraine des Etudes Locales] C'est fort probablement à cette époque que la « terre de Hesse » tomba dans l'escarcelle des évêques messins, tant au temporel qu'au spirituel.
          Le village d
e Hesse et son abbaye resteront partie intégrante du temporel des évêques de Metz, même après l'annexion par la France de la Province des Trois-Evêchés, en 1552 (Traité de Chambord). Au Traité de Munster, qui marqua en 1648 la fin de la Guerre de Trente Ans, l'Empereur germanique céda au Roi de France la souveraineté absolue sur le domaine temporel des évêques de Metz, laissant toutefois à ces derniers les droits seigneuriaux sur leurs domaines et leurs divers fiefs, lesquels constituaient encore en 1789 le « Bailliage de l'Evêché de Metz à Vic », territoire séparé des terres lorraines et françaises par un cordon douanier.
          Ainsi, les Hessois ne furent jamais Lorrains sous l'Ancien Régime, dans le sens de « sujets des ducs de Lorraine » ! Ils furent « Evêchois », sujets de l'évêque de Metz, faisant partie de la seigneurie épiscopale de Metz. Seul maître des terres composant la principauté temporelle ainsi que des hommes qui y demeuraient, l'évêque inféoda dès le haut Moyen-Age ses possessions à de nombreux seigneurs, lesquels furent ses féaux, le prélat étant lui-même le féal direct de l'Empereur germanique. La « terre de Hesse » fut ainsi inféodée à la famille comtale de Dabo, puissante famille apparentée aux empereurs germaniques, aux ducs d'Alsace et à de nombreuses familles seigneuriales régionales. Les Dabo-Eguisheim, fidèles aux mœurs médiévales et au système féodal, finirent par exercer en leur nom propre les droits régaliens et par devenir les seigneurs de Hesse, où ils fondèrent « leur » abbaye, au tout début du XIe siècle.

 

« Romanisation » des campagnes gauloises ?


          Le concept de « romanisation » a été imposé par l'historiographie européenne de l'Empire romain à partir de la première moitié du XIXe siècle. Le terme a été utilisé, entre autre, pour brosser le tableau de la Gaule et de la société gauloise, supposées soumises aux formes d'organisation voulues par Rome. Il est, aujourd'hui encore, le plus souvent employé pour définir cette Gaule conquise par César, transformée par une intégration à la civilisation romaine parfaitement programmée, complète et homogène. Or le mot « romanisation » est désormais remis en question par bon nombre d'historiens, qui invitent à plus de circonspection, notamment dans le discernement des contacts, des rencontres et des interactions entre les conquérants et les conquis, les uns et les autres porteurs, à l'origine, de « cultures » distinctes. « Farewell to romanization ? », « Adieu à la romanisation ? » demandait en 2001 le préhistorien Dirk Krausse. Autrement dit : « romanisation ou pas romanisation » des Gaulois, de tous les Gaulois et, surtout, des campagnes gauloises ?
          La soi-disant « romanisation » de la Gaule aurait été l'aboutissement d'un processus culturel complexe, qui se serait traduit par l'émergence rapide d'une culture différente dans la nouvelle province romaine, la Gaule, laquelle serait bien vite devenue un espace soumis par César et ses successeurs à une sorte de « révolution culturelle » qui aurait fait table rase des éléments du passé. Des monuments inconnus (forums, basiliques, portiques, thermes, édifices de spectacles), des ustensiles ou produits caractéristiques, des cultes et des temples d'un type nouveau virent le jour et modifièrent l'environnement, comme évoluèrent, progressivement sans doute, les relations politiques et sociales, la culture des élites et la langue parlée. L'autonomie locale donnée par Rome aux cités gauloises réclama la mise en place de pouvoirs locaux, lesquels furent confiés aux aristocrates gaulois. Sur les restes de l'ancien monde s'en édifia un nouveau, nécessairement plus agréable à vivre que le précédent pour les nouvelles couches dirigeantes locales. Celles-ci, en même temps que la domination politique que leur offrait les Romains, s'approprièrent les plus hauts standards de la culture du temps et imposèrent leur nouvelle vision du monde où cela leur était indispensable. Les changements furent voulus par le conquérant et relayés par la classe dirigeante gauloise, laquelle accepta et intériorisa le système culturel romain, soit un ensemble de comportements, de goûts et de sensibilités, pour asseoir et conserver son pouvoir et sa supériorité, tout en y intégrant pourtant des traits indigènes. C'est ainsi que les dirigeants des cités des Gaules, demeurant en grande majorité dans les villes, devinrent Romains … ou plutôt Gallo-Romains !
          Cependant, les « romanisés » citadins ne représentaient que la partie émergée de l'iceberg, masquant les mécontentements et les frustrations de la partie immergée, la masse populaire des campagnes gauloises, le plus grand nombre, qui ne se privait pas d'exprimer son rejet du conquérant et de sa domination. La société gauloise, puis gallo-romaine par la force des choses, était essentiellement rurale : les campagnes y constituaient la base de l'économie, comme dans toutes les sociétés traditionnelles jusqu'à la révolution industrielle. La connaissance qu'ont aujourd'hui les historiens des campagnes des Gaules a profondément évolué depuis le XIXe siècle, époque à laquelle on les imaginait quasi désertes, occupées seulement par de grandes villae éparses contrôlant d'immenses domaines agricoles. Les prospections aériennes des années 1970 ont bouleversé cette représentation, remplissant le pays d'un nombre considérable d'établissements ruraux, gallo-romains certes, mais également protohistoriques, remontant souvent à l'époque de la Tène.
          D'un point de vue administratif, les divers peuples des Gaules devinrent sans doute Romains dans les années qui suivirent la conquête militaire, cependant que des clivages s'instauraient entre les Gaulois eux-mêmes. On pouvait devenir Romain sous tant de formes variées, que le devenir ne signifiait pas être assimilé à un idéal-type, mais plutôt acquérir une position dans une structure complexe par laquelle s'exprimait le pouvoir de Rome. Etre Romain ne signifiait pas être romanisé ! Les transformations liées aux étapes de la conquête romaine ne furent pas, pour les Gaules, ce processus stéréotypé qui aurait permis au monde celtique, barbare, archaïque et sous-développé, d'accéder à un degré supérieur de civilisation. Les territoires conquis ne furent pas « aspirés », tout ronds et tout crus, par le modèle romain, mais se développèrent en gardant leurs caractéristiques tout en s'intégrant dans l'économie du monde romain, avec pour conséquences l'augmentation des échanges commerciaux, la monétarisation de l'économie et la mise en place de nouvelles infrastructures. L'intensification de la mise en valeur des terres et la spécialisation des cultures conduisirent à un accroissement de la production et de la productivité agricoles, qui répondaient d'ailleurs à l'accroissement de la demande urbaine.
          La période qui suivit la conquête romaine ne fut marquée dans les campagnes de Gaule par aucune grande révolution dans le domaine technique. Toutefois, le développement des campagnes ne peut être nié, conséquence de la structuration des territoires, avec mise en place d'un réseau de chefs-lieux, de villes, d'agglomérations, de routes, d'ouvrages d'art divers, de canaux et de ports. Ainsi émergea une civilisation gallo-romaine complexe, résultant des interactions culturelles qui confrontèrent Romains et indigènes. C'est pourquoi certains historiens, plutôt que de parler de « romanisation » des campagnes de la Gaule, préfèrent des expressions telles qu' « intégration culturelle », « acculturation » ou encore « créolisation ». Pourquoi n'utiliserait-on pas le terme d'« alliance » pour définir ce phénomène de « gallo-romanisation » de la société gauloise ? Ce mot implique une union, consentie ou non, une association, parfois par pur intérêt, une combinaison de deux diversités, un mélange de particularismes, un mariage dans lequel chacun des deux conjoints reste soi tout en devenant autre.

          Que placèrent les deux parties, Rome et la Gaule, dans la corbeille de mariage ? Rome apporta tout ce qui touchait à l'administration, à l'organisation de la société, à l'armée, au culte impérial, au luxe. La Gaule, au contraire, offrit tout ce qui relevait de la vie courante … ce qui n'est pas rien ! Rome donna à la Gaule la paix, pour deux siècles et demi, ainsi qu'une unité politique que les peuples gaulois, individualistes et querelleurs, n'avaient jamais connue du temps de l'indépendance. Rome apporta aussi l'écriture, que les Gaulois n'utilisaient jusqu'alors que pour des inscriptions votives, certes en langue celte, mais en caractères latins ou grecs, de même que l'éducation, une administration efficace, un urbanisme monumental qui ne toucha pas seulement les villes mais aussi, certes dans une moindre mesure, les petits bourgs et les demeures campagnardes, les techniques sophistiquées de ses ingénieurs et les arpentages de ses géomètres.
          La Gaule apporta une participation plus terre à terre, mais non moins importante. Avec son agriculture performante, pratiquant l'assolement et l'amendement des terres, le territoire gaulois allait devenir l'un des greniers de Rome. Les vignerons gaulois devinrent rapidement des concurrents redoutables pour les vins italiens, et l'empereur Domitien ordonna même, pour protéger les productions romaines, l'arrachage des vignes en Gaule. Technologiquement, les Gaulois étaient très avancés. Ils comptaient parmi les meilleurs artisans du monde, qu'il s'agisse des armements individuels, des objets domestiques ou des instruments agricoles. Ainsi, alors que les Romains ne connaissaient encore que l'araire au soc fixe, péniblement tirée par l'esclave, les paysans gaulois, eux, avaient inventé la charrue à roues avec avant-train indépendant et coutre mobile, tirée par un ou deux bœufs. Ils se servaient de la herse et possédaient des moissonneuses à dents de fer fixées à une grande caisse évasée, dans laquelle retombaient les épis coupés. Les Gaulois furent les inventeurs du tonneau en bois, dans lequel le vin se conservait et se transportait très bien, bien mieux que dans les amphores romaines en terre cuite. Ils étaient aussi de grands éleveurs de porcs, dont la viande séchée ou confite était exportée jusqu'à Rome et au-delà.


 

La Gaule romaine



          A mesure que les souvenirs de l'indépendance passée s'effaçaient, à mesure que l'évolution de la société gagnait en profondeur, les institutions publiques et le droit privé du vainqueur l'emportèrent dans les trois provinces créées par l'empereur Auguste : la Gaule Aquitaine, qui s'étendait des Pyrénées à la Loire, la Gaule Lyonnaise, qui s'allongeait jusqu'à l'Armorique et la Manche, et la Gaule Belgique, qui occupait le reste du territoire jusqu'au Rhin. Les cités gauloises gardèrent leurs noms et devinrent des circonscriptions administratives romaines, avec un chef-lieu qui devint bien vite une capitale locale et surtout un lieu d'expression des valeurs romaines, tant politiques que commerciales et religieuses.
          Ces mesures n'avaient pas pour but de faire des Gaulois d'authentiques Romains, mais de donner un cadre administratif romain à des individus qui demeuraient des Celtes par leur origine. La mentalité, un grand nombre de coutumes et les manières de vivre restèrent gauloises et conservèrent leur spécificité aux trois cents et quelque tribus. C'est aussi parce que le peuple continuait à se considérer comme pleinement Gaulois qu'il se rebella jusqu'à une époque assez tardive contre le pouvoir central. « Les révoltes de la Gaule furent nombreuses ; elles commencèrent sous Tibère, et se continuèrent durant les quatre premiers siècles de l'Empire, n'attendant qu'une occasion favorable, saisissant le moindre prétexte, profitant de tous les embarras de Rome. Les chefs de ces révoltes faisaient toujours valoir les mêmes griefs, c'est-à-dire l'aggravation des impôts, l'insolence et la cruauté des gouverneurs romains, la supériorité de la race gauloise sur la race latine. » [dans « Essai sur la condition des barbares » / Eugène Léotard]

          « Gaule romaine ou Gaule romanisée ? » se demande l'historien Alain Simmer, avant de proposer sa version de ce que fut réellement la « romanisation » de la province romaine nommée Gaule. « La romanité s'est conservée partout, à des degrés divers ; mais de quelle romanité s'agit-il ? D'une civilisation latine ayant fait table rase du système antérieur ou d'un processus différent, illustrant cette civilisation gallo-romaine qui porte bien son nom ? En fait une acculturation, phénomène complexe où la romanité n'a jamais cessé de composer avec la culture indigène.
C'est au
jourd'hui un lieu commun de souligner que la Gaule n'a pas été romanisée en l'espace de quelques dizaines d'années : même après quatre siècles, des pans entiers de la civilisation gauloise subsistaient. Il est vrai qu'un des gages de réussite de la colonisation romaine fut précisément de ne rien imposer et de respecter l'individualité des peuples conquis par une romanisation en douceur. La loi romaine ne fondait pas son système juridique sur des critères de race, mais sur le statut social de l'individu (libre, affranchi ou esclave). Les structures traditionnelles furent en grande partie conservées, ce qui ménagea le soutien de l'aristocratie gauloise. Là encore, la masse ne fut jamais au rendez-vous : sur les 15 ou 20 millions d'habitants que comptait la Gaule, on estime à environ 300.000 le nombre de Romains, dont beaucoup dans les provinces méridionales. Comment donc la civilisation romaine aurait-elle pu être en mesure d'étouffer la culture gauloise ?
Il n'est pas excessif de dire que les Gaulois ont su habilement emprunter les nouveautés intéressantes amenées par Rome, tout en conservant leur particularisme : un Gallo-Romain n'était bien souvent qu'un Celte déguisé. (…) La Gaule est restée vivace sous le vernis romain par d'innombrables aspects. Le terme de civilisation gallo-romaine prend alors tout son sens : la culture romaine, vecteur d'autres modes de vie, avait pénétré l'Est, mais de façon très inégale. En marge des améliorations matérielles dues à l'introduction de techniques et d'un système économique différents, les bases celtiques s'exprimaient partout, à des degrés divers. » (Alain Simmer)

            Comme les autres cités, celle des Médiomatrices entra dans le système administratif romain. A Divodurum, chef-lieu de la cité, qui s'appellera Metz bien des siècles plus tard, siégea une assemblée municipale et des magistrats recrutés parmi les grands propriétaires fonciers indigènes.
            « Pour trouver un haut fonctionnaire romain, il faut se rendre à Reims où réside le gouverneur de la province de Gaule Belgique à laquelle appartiennent les Leuques et les Médiomatriques, ou à Trèves, résidence d'un des principaux responsable des finances. Car Rome ne manque pas de faire peser des charges fiscales sur les populations locales vaincues : l'impôt direct foncier, des impôts indirects sur les ventes, la circulation des marchandises, des prestations en nature pour l'entretien des routes, pour l'approvisionnement de l'armée. Les opérations de cens et de recensement sont autant de nouveautés. Des obligations militaires sont aussi prévues, mais il y a suffisamment de volontaires pour satisfaire au recrutement. Point de fonctionnaires romains sur place ; pas davantage de forces de police ; les vainqueurs comptent sur les élites locales pour la gestion administrative et la paix sociale. Tel est, à leurs yeux, le moyen le moins coûteux et le plus efficace pour assurer sans problème l'intégration au monde romain des peuples conquis. Les troupes seront de moins en moins romaines de souche, et de plus en plus provinciales. » [dans « Vivre en Lorraine gallo-romaine » / Jeanne-Marie Demarolle]

            Selon l'historien médiéviste Ferdinand Lot, « les bases de la vie sociale de la Gaule indépendante ne furent pas bouleversées par la conquête romaine. L'aristocratie gauloise développa sa puissance économique et sociale. Sa puissance foncière fut consolidée par l'inscription sur les registres du cens du nom du propriétaire gaulois. Il est possible qu'il ne fût jusqu'alors que l'administrateur des biens d'une communauté rurale, un chef de petit clan. Le noble gaulois fut désormais, lui et sa postérité, considéré comme propriétaire du fonds. Il prit de bonne heure un nom latin, lequel fut consigné sur la matrice du cadastre, au cours du premier siècle de notre ère. Comme la population parlait encore celtique, le suffixe « iacus » fut accolé au nom latin du propriétaire. Ces noms subsistent encore aujourd'hui. Les noms de lieu de ce genre se comptent par milliers en France. Ils nous conservent donc les noms des premiers propriétaires gaulois romanisés inscrits sur les registres du fisc romain. Les limites des communes rurales contemporaines nous en conservent aussi les dimensions, car le « finage » n'a pas changé, le plus souvent, au cours des âges, lorsque le domaine particulier du propriétaire est devenu une paroisse, un village au sens actuel. » [dans « La France des origines à la guerre de cent ans » / Ferdinand Lot]

 

 

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