Mairie de HESSE. 3 La Cour, 57400 HESSE - 03.87.23.82.33



- penn-tiern : mot celte signifiant « chef de guerre » ou « généralissime »
- brenn : nom donné par les Celtes à leurs chefs militaires
- la rivière Sequana : la Seine - la rivière Liger : la Loire
- Divodurum (Metz) : ville de la cité des Médiomatrices
- Genabum (Orléans) : ville de la cité des Carnutes
- Auturiko ou Autricum (Chartres) : ville de la cité des Carnutes. La forêt de Chartres était un lieu de culte majeur pour la religion druidique. Ce lieu passait pour être le centre de la Gaule.
- Durocorter (Reims) : ville de la cité des Rèmes
- Gergovie  : place-forte située à proximité de la cité arverne de Nemossos (Clermont-Ferrand)

 

 

 

Souvenirs   d'un  Gaulois  de    la   Charmenac    - 3 -

 

La  révolte  des  Gaulois

 

 

Chapitre I - Le soulèvement

         La Gaule entière était en proie à une sourde agitation. Presque chacune de ses cités avait ressenti sur ses épaules le poids du bras de César, mais aucune ne se résignait à la défaite. Presque toutes cherchaient à se concerter avec leurs voisines pour tenter en commun un grand effort qui les libèrerait de cette poigne mauvaise. Des émissaires allaient de tribu en tribu, et, en attendant l'explosion générale, des mouvements partiels éclataient d'un côté ou de l'autre. A la Charmenac cependant, nous nous sentions bien éloignés des actions militaires de César contre les chefs gaulois qui le narguaient tant en Celtique qu'en Belgique. Nous nous consacrions aux travaux de la terre et nous réjouissions des bonnes récoltes que nous engrangions. Nous n'en continuions pas moins à nous tenir prêts pour la lutte prochaine, attentifs aux nouvelles qui nous parvenaient de nos frères celtes.
         Dans les monts du centre de la Celtique, un jeune homme du nom de Vercingétorix, fils de Celtill, était devenu un des hommes les plus puissants de la cité des Arvernes. Bien que portant le titre d'ami des Romains, que lui avait concédé César lui-même, il revendiquait à nouveau l'indépendance de son peuple et des autres cités alliées. Il y avait de cela plusieurs années, son père Celtill, très riche et très puissant, avait commandé à la Gaule entière avant d'être tué par ses compatriotes parce qu'il voulait devenir roi. Désapprouvé par les nobles de Gergovie, sa ville, Vercingétorix parcourait la campagne et tentait de gagner à sa cause tous les Gaulois qu'il rencontrait. Il envoyait des ambassades dans toutes les cités, exhortant les chefs guerriers à s'engager à ses côtés pour rendre la liberté à la Gaule.
         A Divodurum où je me rendais régulièrement avec les autres chefs des alentours pour débattre des affaires politiques du moment, les sénateurs avaient accueilli une ambassade de l'Arverne leur demandant de prendre son parti. Après avoir délibéré, le sénat avait déclaré que les Médiomatrices resteraient pour l'instant neutres dans la lutte qui s'annonçait. Ils prendraient les armes lorsque la Gaule en révolte aurait un chef sachant se faire obéir au doigt et à l'œil, un chef qui saurait dompter les nobles égoïstes et les guerriers turbulents, un chef qui pendrait les traîtres et les indociles et qui aurait le droit de couper les poignets, de crever les yeux et de faire voler les têtes. Les sénateurs voulaient se soumettre à une discipline aussi terrible que celle des Romains : c'était la seule condition de pouvoir les vaincre et de les bouter hors de nos territoires. Les cohues gauloises de chevaliers indisciplinés et de paysans armés ne seraient jamais de taille à lutter contre les légions romaines, assuraient-ils. Si l'Arverne devenait ce chef capable de mener les Gaulois à la victoire, les Médiomatrices le suivraient. Ce Vercingétorix était-il assez illustre pour s'imposer à toute la Gaule ? Ainsi parlèrent nos sénateurs.

         A la Charmenac, mes chevaliers et moi-même rêvions de prêter nos bras à ce Libérateur qu'annonçaient depuis si longtemps les druides, les prêtresses et les bardes. Avec les autres chefs de notre contrée, nous étions convenus de laisser passer l'hiver, qui était bien rude, et d'inviter courtoisement dans nos demeures les voyageurs qui traversaient nos terres, ce qui nous permettait de les interroger sur ce qu'ils avaient vu et entendu. Dans tous nos villages, nos guerriers s'étaient mis à forger des pointes de lances et de flèches. Nous avions creusé de grands trous dans la forêt et déblayé les anfractuosités des roches pour y emmagasiner des grains. Nous avions troqué une partie de notre bétail contre des chevaux, qui devenaient rares et chers : un coursier de guerre, qui naguère s'échangeait contre trois bœufs, en valait maintenant sept ou huit.
         Au moment le plus rigoureux de l'hiver, un matin que je songeais à l'avenir en me chauffant devant un grand feu, j'entendis vers la porte d'entrée du village un appel de cor. Puis, tout de suite après, la porte de ma maison s'ouvrit et je vis entrer un homme de haute stature, couvert de frimas et secouant sur le seuil la neige de son cuculle. « Je suis Verjugodumno, envoyé par les sénateurs de Divodurum. Je t'apporte une grande nouvelle. Je viens te dire : le moment de l'action est proche.
- Les dieux en soient loués ! m'écriais-je en me levant. J'installai mon visiteur devant le brasier et, tout d'abord, lui versai une grande coupe de vin. Il paraissait agité, ému, à la fois inquiet et joyeux. Raconte ! lui demandai-je
- Si la Gaule n'est pas encore debout toute entière, elle le sera demain peut-être. La plupart des nations ayant à leur tête des sénats hostiles aux Romains sont pour le soulèvement. Presque toutes celles ayant des sénats amis des Romains, comme les Suessons, les Arvernes et les Eduens, ne songent qu'à les renverser pour se libérer de leur tyrannie. Chez les Arvernes, Vercingétorix a déjà fait prendre les armes à ses clients. Seulement, il fallait qu'un peuple soit au premier rang des révoltés et donne le signal du soulèvement. Ce peuple devait être établi au cœur-même de la Celtique, de telle sorte qu'en s'insurgeant il coupe les communications entre les légions romaines stationnées dans les cités du nord et les nouvelles recrues pouvant arriver de la Province. Il fallait aussi que le signal donné par ce peuple parvienne en même temps à toutes les extrémités du pays, en Armorique comme chez les Belges.
- Et ce peuple ?
- Ce ne pouvait être que les Carnutes. Leur territoire s'étend au nord jusqu'à la rivière Sequana ; au sud, il dépasse la rivière Liger. De plus, c'est une nation très riche, qui possède des villes magnifiques. Elle est aussi la plus religieuse de la Gaule, et ses forêts consacrées à Teutatès et à la déesse mère attirent les hommes pieux de toutes les régions. Il n'est peut-être pas un Gaulois qui ne connaisse le pays des Carnutes pour y avoir été en pèlerinage ou pour avoir fréquenté ses marchés et ses foires.
- Les Carnutes sont trop riches, dis-je, non sans un peu d'amertume, pour courir les premiers une pareille aventure. Jamais ils n'accepteront d'être ainsi désignés à César comme étant l'âme du complot, car celui-ci les ferait tous mourir, que ce soit à la mode gauloise ou à la mode romaine.
- Leurs sénateurs ne voulaient pas, car ils font de grosses affaires avec les négociants romains établis à Genabum. Ils craignaient pour leurs belles maisons et pour leurs grands troupeaux. Mais deux de leurs chefs guerriers, très déterminés à secouer le joug de César, ont su rallier le peuple à leurs idées, et leur sénat s'est effrayé de la colère des rues. Alors ils se sont tous mis d'accord : ce sont les Carnutes qui donneront le signal. Mais ils ont exigé que tous les peuples gaulois s'engagent de la façon la plus solennelle qui soit à ne pas les abandonner dans le péril où ils se seront jetés pour la cause commune. Les cités conjurées sont appelées à prêter, autour des étendards réunis en faisceau, le serment de fidélité à la ligue.
- Ce serment est un lien inviolable pour un Celte. Où la cérémonie aura-t-elle lieu et quand ?
- Dans la forêt des Carnutes qui entoure leur oppidum d'Auturiko. Ordre est donné à toutes les cités alliées d'y envoyer sur-le-champ leurs principaux chefs et quelques-uns de leurs guerriers. Le sénat me députe pour te demander de participer à cette assemblée, avec quelques autres chefs de notre cité, en qualité d'observateurs et amis. Aucun serment ne devra être prononcé au nom des Médiomatrices, mais tu es libre de t'engager en ton nom propre. Acceptes-tu ?
- Oui ! Mais qui défendra mes villages, les femmes et les enfants ?
- Tes chevaliers et les chefs des territoires qui entourent tes terres. Donne tes ordres. Demain matin, nous nous mettrons en route. Nous rejoindrons nos compagnons à Durocorter chez les Rèmes. Les dés sont jetés. Que Teutatès nous protège !
        
         J'appelai mes hommes et leur annonçai mon départ, sans leur révéler encore le but du voya
ge. Ils comprirent cependant bien vite qu'il s'agissait d'aller battre les Romains. Leur joie éclata en applaudissements bruyants, mais les bruits cessèrent quand je les informai que je n'emmenais avec moi que l'écuyer Exobnos. Je chargeais Arviragh, le plus vieux de mes chevaliers et sans doute le plus sage, de me remplacer à la Charmenac. Bientôt des cris répétés dans toute la contrée annoncèrent que la grande nouvelle s'y propageait. Tous mes hommes et leurs familles furent bientôt assemblés devant ma demeure. « Je vous confie à Arviragh et je vous le confie. Vous lui obéirez comme vous m'obéissez et comme vous avez obéi à mon père Catumaris, pour qui il a porté les armes maintes fois », leur déclarai-je. J'étais trop ému pour en dire davantage. Mon bon Arviragh prit aussitôt la parole : « Qu'Esus accompagne Dumnoclevos pour les lustres qui viennent ! » s'exclama-t-il, paroles que reprirent aussitôt toutes mes gens, hommes, femmes, enfants et esclaves.
         Dans la soirée arrivèrent la plupart des chefs des parages, accompagnés de leurs bandes. La soirée fût une fête, et je m'endormis en rêvant de gloire et de liberté.


 

Chapitre II - L'assemblée dans la forêt des Carnutes

         C'est vers l'inconnu que nous nous en sommes allés au petit matin, sous les flocons de neige qui nous dérobaient la vue de la fumée sortant des toits de la Charmenac. Mais nous chevauchions tous les deux si bravement, avec tant d'espoir au cœur, que le chemin nous sembla court. Au soir du premier jour, nous étions chez les Rèmes, où nous avons rejoint la troupe des chevaliers médiomatrices, auxquels s'étaient joints des Leuques. Le second jour du voyage, alors que la nuit tombait, nous nous trouvions en plein pays carnute, aux portes d' Auturiko. Des guides nous attendaient, qui nous conduisirent, à travers une forêt épaisse, jusqu'à une vaste clairière.
         Entouré d
e chênes colossaux, l'endroit était occupé par une multitude que nous ne devinions que confusément à cause de l'obscurité. Mais bientôt la lune, tout à coup dégagée des nuages, laissa tomber sur la plaine blanche de neige une lumière éblouissante. Nous avons alors pu distinguer d'énormes pierres levées, un vaste cercle de menhirs semblant attendre une assemblée des dieux qui y tiendrait ses assises. Près d'un autel en pierres brutes étaient groupés des centaines de druides, aux robes blanches bordées de pourpre, aux chevelures couronnées de feuillage de chêne. S'accompagnant de leurs harpes, des bardes faisaient entendre une mélopée grave et menaçante. Couvrant presque l'autel, étendu sur le flanc, les pieds liés, la tête pendante, un grand taureau blanc mugissait. Tout autour, partout où je posais mes yeux, j'aperçus des ombres gigantesques de guerriers, des cornes et des ailes déployées au sommet de leurs casques, des reflets de boucliers, de glaives et de lances. D'autres conjurés arrivaient, débouchant par tous les sentiers, le bruit de leurs pas étouffé par la neige. A part le son des harpes, tantôt grave, tantôt argentin, l'assemblée était silencieuse.
         Une voix grave s'éleva dans la nuit, qui rappela les populations gauloises massacrées ou traînées en esclavage, énonçant le nom des chefs traîtreusement mis à mort par César. C'étaient des exterminations et des supplices de ce genre que bravait le peuple carnute en répondant à l'appel des autres nations, déclara un vieillard qui brandit une grande serpe d'or. Il demanda que nous engagions nos serments au nom de nos peuples respectifs, peuples de toutes les Gaules réunies dans cet endroit nommé l'ombilic sacré par nos ancêtres. Dans le silence de la forêt retentirent alors le fracas des glaives sur les boucliers, les cris d'enthousiasme et de reconnaissance : « Merci à vous, nobles Carnutes. Vous vous êtes dévoués pour nous. Tous, nous nous dévouerons pour vous. »
         Soudain, ill
uminant la clairière, d'innombrables torches s'enflammèrent. Le chant des harpes enfla. Les couteaux de bronze resplendirent dans les mains des prêtres. Le grand taureau blanc s'agita désespérément dans ses liens, poussa un mugissement suprême, alors qu'un jet de sang tachait la blancheur de la neige et des robes sacerdotales. A un signal donné, toutes les enseignes se rassemblèrent autour de l'autel ensanglanté. Il y en avait des centaines sur lesquelles, en bronze doré ou en électrum, se dressaient des aigles, des grues, des alouettes, des coqs, des loups, des renards, des lions, des taureaux, des sangliers, des dragons. Parmi les hommes qui entouraient l'autel, quelques-uns étaient revêtus d'armures presque romaines, plusieurs du costume de guerre dont se parent les chevaliers gaulois, alors que d'autres n'avaient guère que des peaux de bête, dont les gueules, les mufles, les hures, les fronts cornus leur tenaient lieu de casques.
         Un prêtre faisait approcher chaque porte-enseigne, lui ordonnait de tremper la pointe de son glaive dans le sang de la victime sacrée, et à haute voix proclamait le nom de son peuple ou de sa tribu, le nom des chefs et le chiffre des guerriers qui prendraient part à la guerre de libération. J'entendis nommer ainsi presque tous les peuples gaulois qui habitent entre les Cévennes et l'Océan. Je n'aurais pu imaginer que la conjuration fût aussi étendue et la haine du nom romain aussi générale. J'entendis proclamer aussi les noms de chefs que je n'avais pas encore vus, mais dont je connaissais les exploits : Camulogène l'Aulerk, Drappès le Senone, Comm l'Atrébate, Corrée le Bellovak, Lucère le Cadurk, Gutruat le Carnute, Critognat et Vercassivellaunos d'Arvernie, glorieux entre tous les héros de l'indépendance. Le nom de Vercingétorix fut accueilli par un tonnerre d'applaudissements. La batterie des glaives sur les boucliers fut si retentissante qu'au loin on entendit, dans l'épaisseur des bois, hurler les loups, et que deux grands aigles, réveillés en sursaut et tout effarés, vinrent battre de leurs ailes la pierre de l'autel.
         Sur chacune des enseignes inclinées devant lui, le vieux druide étendit les mains, en prononçant gravement des paroles mystérieuses. Tous les hommes firent le serment de mourir chacun pour tous et tous pour chacun, y compris moi-même, bien que je n'eus aucune bannière à la main. Je me sentais Gaulois jusqu'au plus profond de mon être. J'engageais ma vie pour la liberté de la Gaule. Avec une branche de gui trempée dans le sang du taureau, les prêtres aspergeaient l'armée qui les entourait. Ils fulminaient des imprécations terribles contre quiconque manquerait à ses serments. Quand la flamme allumée sur l'autel eut consumé jusqu'aux os de la victime sacrée, les torches furent enfoncées dans la neige, qui grésilla et fuma, alors que les voix des druides tonnaient : « Ainsi soient éteintes les vies des Romains ! » Les guerriers s'écrièrent : « Ainsi soient éteintes les vies des traîtres à leur patrie ! »
         Réunis en cette forêt sacrée, les chefs les plus puissants du centre et de l'ouest, entourés des chevaliers et des guerriers des plus célèbres cités celtes, se lièrent solennellement et déclarèrent unanimement reconnaître le premier rang à la nation arverne qui, avant l'arrivée de César, était souveraine de la Gaule entière. Ils choisirent le fils de Celtill comme commandant de la conjuration et, lui engageant leur foi, tous jurèrent d'obéir aux ordres et aux rendez-vous militaires que leur donneraient leur penn-tiern. Les Carnutes rappelèrent qu'ils donneraient le signal de la révolte, que tous promirent de suivre aussitôt.
         Le lendemain, les délégués des nations se rassemblèrent sur une des places de la ville sainte d'Auturiko. Les chefs Cotuat et Conétodun les apostrophèrent ainsi : « Vous avez engagé vos serments en plaçant la main sur la gorge ouverte du bœuf sacré. A notre tour, nous allons vous engager les serments des Carnutes, mais ce ne sera pas du sang des bêtes que nos mains seront rouges. Nous partons de ce pas pour Genabum. Suivez-nous et vous verrez si les Carnutes savent tenir parole ! » Ils partirent si vite avec leurs troupes que mon écuyer et moi-même sommes restés sur place, sans avoir très bien compris ce qui se jouait là.
         Génabum était la seconde ville du territoire carnute. Située sur la rivière Liger, son port était devenu, depuis l'arrivée de Jules César, l'un des grands entrepôts du commerce entre la Méditerranée et l'Océan. Une foule de marchands était venue s'y établir, venant d' Italie et de la Province narbonnaise, et, sous la protection des Romains, ces étrangers s'étaient emparés de tout le négoce et avaient amassé d'immenses richesses. Les habitants de Génabum ne les voyaient dans leurs murs qu'avec haine et jalousie. Les bandes armées de Cotuat et de Conétodun massacrèrent les citoyens romains, pillèrent leurs propriétés et y mirent le feu. Telle fut la sanglante déclaration adressée par la Gaule aux légions étrangères. La nouvelle, criée dans les champs et sur les collines suivant l'usage gaulois, passa de bourg en bourg et de ville en ville avec la rapidité du son. Plus tard, les gens de la Charmenac m'assurèrent qu'ils avaient connu le massacre de Genabum alors que la neige recouvrait encore nos terres.
         Je confiai à mon écuyer Exobnos que je n'aimais guère ces massacres. Ce n'était pas contre des hommes désarmés et contre des femmes que la valeur gauloise devait faire ses preuves. Cependant, je résolus de me joindre à une troupe de cavaliers qui avait pris la décision de rejoindre Gergovie, où le fils de Celtill était devenu le maître des Arvernes ainsi que de toutes les cités clientes de ce peuple. Je voulais rencontrer Vercingétorix et combattre à ses côtés. Son nom était partout, sur les lèvres des hommes et dans les chants des bardes, et je brûlais de connaître cet homme qui voulait unir la Gaule sous un seul chef, appelant aux armes tous les bons compagnons et tous ceux qui voulaient être libres ou mourir.


Chapitre III - Au pays des Arvernes

         Il nous fallut sept jours pour nous rendre de la ville sainte des Carnutes à Gergovie, car les jours étaient courts et les chemins encombrés par les neiges. Nulle part les légions romaines, surprises sans doute de cette soudaine révolte, n'avaient remué. Leurs chefs s'étaient même hâtés d'évacuer les forts détachés, de faire rentrer les patrouilles et les corvées de réquisition, et de se renfermer plus étroitement que jamais à l'abri des remparts de leurs camps.
         Lorsqu'on f
ut sorti des plaines des Bituriges et qu'on entra dans le pays des Arvernes, la route devint montueuse et difficile, resserrée dans des gorges terribles, bordée de précipices au fond desquels roulaient des rivières torrentueuses. Le soir du septième jour, nous sommes arrivés dans une sorte de plaine très accidentée, entre des montagnes très hautes, dont l'une supportait l'oppidum de Gergovie. Le pays entier regorgeait de troupes en habits de guerre, armées de lances, de javelines et d'épées. C'étaient des contingents venus de toutes les nations voisines, lesquelles, les premières, avaient répondu au signal de l'insurrection. A chaque arrivage, c'étaient de grands cris de joie dans tous les campements, et les noms des chefs qui amenaient ainsi leurs hommes volaient de bouche en bouche. Je reconnus ainsi les noms de quelques chefs fameux dont mon père, lorsque j'étais enfant, m'avait vanté les faits d'armes. Les villages entourant la place-forte grouillaient de monde. De toutes parts, sur la plaine et sur les hauteurs, on voyait briller les feux des bivouacs.
         Dès le lendemain matin, il me fut donné de voir de près le fils de Celtill. Campé sur un cheval bai, il circulait parmi la foule des soldats. C'était un homme de trente ans, dont la taille colossale et la figure sévère inspiraient le respect et même l'effroi. A la manière dont il promena sur nous ses yeux bleus aux reflets de métal, au ton bref dont il nous posa des questions et nous donna des ordres, nous avons tout de suite senti la distance à laquelle il entendait nous tenir. Nous comprenions qu'il entendait être obéi, et l'expression sévère de ses traits ne laissait, sur ce point, aucun doute. Nous devinions que ce favori des bergers et des paysans savait qu'il était le rejeton d'une longue lignée de rois, Luern, Bituit et Celtill. Certains guerriers croyaient retrouver sur son front le pli tragique qu'il avaient remarqué sur celui de son père. Vercingétorix se comportait comme un homme marqué par le sceau des dieux. Quelque chose de religieux et de grave planait sur lui, avec une teinte de mélancolie, comme celle d'un homme qui poursuivrait un rêve sublime et peut-être irréalisable.
         Le chef arverne nous demanda de nous rassembler près d'un tertre qu'il nous désigna de l'index, et, lorsque la masse des guerriers fut immobile et silencieuse, il nous harangua d'une voix claire et puissante. Debout sur ce monticule et nous ayant tous à ses pieds, il nous dit qu'il avait pris les armes pour venger les injures faites à la Gaule entière et que le moment était venu de savoir si les fils de Dis Pater se courberaient pour toujours sous les verges et les haches du proconsul. Aux Gaulois de décider si les richesses et la fécondité que les dieux avaient départies à leurs terres, ainsi que le labeur de leurs bras, serviraient uniquement à payer les dettes d'un Romain ; si leurs femmes n'enfanteraient que pour recruter des bandes d'esclaves pour les domaines d'Italie ; si nos enceintes sacrées seraient profanées par la présence des idoles romaines ; si nos champs seraient mesurés pour être répartis entre les colons venus du Tibre ; ou bien si la Gaule entière recouvrerait la libre élection de ses magistrats et la libre direction de ses assemblées. Emporté tout à coup par l'élan de sa pensée, l'orateur nous montrait une Gaule plus grande et plus puissante que l'empire romain. Il confédérait même au sein d'un même état les tribus celtiques, belges, aquitaines, celles qui habitaient les îles britanniques, la péninsule ibérique, l'Italie du nord et même les rives du Danube. Il appelait à la liberté toutes les nations celtes qu'opprimaient les proconsuls et que rançonnaient les publicains. Nous l'écoutions sans bouger, ravis, et dans un tel enthousiasme que nous n'osions l'interrompre, même pour applaudir.
         Déjà, rajoutait-il, presque toutes les nations entre les Cévennes et l'Océan, et jusqu'à la rivière Garunna, avaient répondu à son appel. D'autres cités étaient sur le point de se prononcer en sa faveur. Chaque jour arrivaient de nouveaux contingents. Dans deux mois, affirmait l'Arverne, s'il plaît aux dieux, la Province romaine sera redevenue une libre Gaule. Quand les neiges commenceraient à fondre sur les hauteurs, nous franchirions les Alpes : Hannibal l'Africain, et avant lui nos anciens brenns, nous avaient montré le chemin qui mène au Capitole de Rome. Il s'exclamait que nous autres Gaulois étions plus braves que les Romains, mais que nous ne pouvions vaincre les légions que par la discipline romaine. Le penn-tiern qu'il était, désigné tel quel dans la forêt sacrée des Carnutes, nous ferait connaître les châtiments qui attendaient le guerrier indocile ou négligent, celui qui pillerait en pays ami, celui qui ne répondrait pas au premier appel de la carnix, celui qui combattrait sans ordre, celui-là même qui serait victorieux sans la permission de son chef. Il aurait aussi des récompenses pour les braves : à quiconque escaladerait le premier les parapets d'un camp ennemi, un bouclier rempli de pièces d'or ; à quiconque apporterait une aigle romaine, deux mille arpents de terre à choisir parmi celles des colons romains. Dans le châtiment ou dans la récompense, il ne distinguerait pas entre le noble et le paysan. La servitude romaine, en s'appesantissant sur la Gaule entière, avait effacé entre ses fils toute distinction de classe.
         Puis Vercingétorix parla de stratégie guerrière. Il ne voulait pas que les contingents combattent pêle-mêle, cavaliers, piétons armés de lances, paysans munis de leur arc ou de leur fronde, comme chacun était arrivé de son village. Notre défaut, à nous autres Gaulois, lorsque nous attaquions une troupe ennemie ou que nous prenions d'assaut un retranchement, c'était, assenait-il de sa voix puissante, de nous avancer en troupeau, combattant chacun pour soi, comme des gens qui sont à la chasse. Les Romains, au contraire, s'avançaient d'un pas rythmé, en se serrant les coudes, dans une poussée régulière. Chez eux, l'effort individuel de chaque centurion se confondait et se réglait dans l'effort commun. Chez nous, chaque combattant ne valait que par lui-même, au lieu d'ajouter à cette valeur celle des autres et, par là, de la centupler. C'est à ce défaut national que Vercingétorix voulait remédier. Il disloquerait les clans, mettrait ensemble les cavaliers, ensemble les fantassins armés de la lance, ensemble les archers et les frondeurs. Il disait que chacune de ces armes avait sa destination propre dans une bataille : celle-là pour éclairer l'armée, charger l'ennemi, le poursuivre après sa défaite ; celle-ci, pour recevoir le choc des légions sur la pointe des lances ; les autres pour voltiger sur le front et autour de l'adversaire, faire pleuvoir sur lui une grêle de pierres et de flèches. Les guerriers seraient regroupés selon leur armement, sans tenir compte des liens de clientèle ou de sujétion, sans considération particulière pour la noblesse ou les colliers d'or. Chef suprême, il nommerait lui-même les officiers suivant le mérite qu'il leur reconnaîtrait.
         Vercingétorix termina son discours en annonçant pour le lendemain la parade de l'armée qu'il avait recrutée et qui s'entraînait avec rigueur depuis plusieurs semaines déjà. Puis il éperonna sa monture et s'éloigna rapidement en direction de Gergovie.

Chapitre IV - L'armée du penn-tiern

         Vercingétorix était le plus puissant seigneur de l'Arvernie, et aussi l'un des plus riches, ce qui lui avait permis de recruter l'effectif d'une légion rien que parmi ses clients et ses sujets. Il avait donné à son armée une organisation et un équipement qui n'auraient pas été désavoués par la fameuse Dixième légion de Jules César. Cette infanterie régulière était sectionnée en cohortes, manipules et centuries, avec légats, tribuns et centurions, à la mode de Rome. Un questeur était chargé de distribuer la solde et les vivres. Les grandes épées celtes en fer avaient été remplacées par de courts glaives d'acier à la mode ibérique ; les lances, plus courtes et plus légères, étaient munies d'une lanière de jet ; des boucliers en fer sur lesquels serpentaient des foudres de bronze doré avaient été préférés aux grands pavois d'osier. Le penn-tiern obligeait les hommes qui, par ostentation de bravoure, prétendaient combattre la tête et la poitrine nues, à porter des casques ronds en fer ou en cuir, surmontés d'une pointe acérée, ainsi que des cuirasses de fer en écailles ou en lamelles.
         Il avait formé aussi une cavalerie régulière, divisée en ailes, avec des préfets ; en escadrons de soixante hommes, avec un porteur d'étendard ; en décuries de dix hommes, dont chacune avait un decurio en tête et un optio en queue. Il avait même apporté, pour certains escadrons, un perfectionnement emprunté aux Germains et que les Romains ne connaissaient pas : à chaque cavalier était adjoint un fantassin choisi parmi les plus lestes, qui courait aussi vite que le cheval, suspendu d'une main à la crinière. Lorsqu'un de ces escadrons chargeait l'ennemi, le cavalier latin, qui ne s'attendait qu'à croiser la lance contre celle de son adversaire, voyait tout à coup surgir auprès de celui-ci un piéton, lequel se glissait avec un poignard sous le cheval du Romain ou bien envoyait à l'homme une javeline dans l'œil.
         Vercingétorix c
onnaissait toutes les machines de guerre des Romains, ayant été enrôlé, pendant cinq années au moins, en tant qu'auxiliaire dans l'armée de César. Il en avait fait construire de pareilles. Il savait comment on creuse le fossé d'un camp, comment on élève des remparts de terre, comment on les plante de palissades. II savait aussi bâtir un mur à la gauloise, avec des poutres entremêlées de pierres taillées, défiant à la fois le bélier et la torche. Il avait organisé en escouades des artisans habiles à travailler le bois et la pierre, et aussi des mineurs qui, dans les filons de fer et d'étain dont abonde le pays arverne, avaient appris à pratiquer toutes sortes de galeries souterraines. D'autres gens du peuple étaient requis pour conduire les chariots ou pour faire le service de propreté dans le camp.
         L'engouement pour ces nouveautés gagnait les guerriers gaulois qui étaient rassemblés devant Gergovie, et, au bivouac, on entendait des hommes vêtus de peaux et armés d'une massue ou d'un nerf-de-bœuf raisonner sur la valeur comparée de la longue épée et du court glaive. D'autres dissertaient comme des tacticiens émérites sur la formation en colonne, en ligne, en échiquier, en cintre, en carré, en losange, en cercle, en équerre et en potence. Tous auraient voulu appartenir à cette troupe d'élite, mais le penn-tiern ne souhaitait pas augmenter ses effectifs, craignant probablement que les nouvelles recrues n'aient pas le temps de se plier à ses règlements. Plutôt que d'être des légionnaires imparfaits, le commandant en chef affirmait qu'il valait mieux que ces Gaulois combattent avec les procédés auxquels ils étaient habitués dès leur jeunesse, gardant toute leur confiance en leurs armes et en leurs chefs, toute leur fougue de sang et toute l'impétuosité naturelle aux Celtes. Il lui suffisait d'avoir un bon noyau de troupes régulières : des autres, il n'exigeait que l'obéissance aux ordres du quartier général et la stricte observation des signaux de combat ou de retraite. Il y eut ainsi sous les étendards de l'indépendance des troupes armées à la mode de nos pères et des troupes armées à la romaine, cependant que le même cœur les animait toutes.
         La discipline se maintenait avec rigueur. Les moindres infractions étaient, ainsi que dans les troupes romaines, punies d'une privation de solde, de vivres, de part dans le butin ; de la révocation d'un grade, s'il s'agissait d'un officier ; de la perte de son cheval et du renvoi dans l'infanterie, s'il s'agissait d'un cavalier ; de l'inscription parmi les nettoyeurs du camp, s'il s'agissait d'un piéton. Quand l'infraction était plus grave, Vercingétorix chargeait les druides de statuer sur les coupables. Alors, soit on se contentait de les chasser du camp à demi nus et sans armes, soit on leur coupait les oreilles ou le poignet, ou bien ils étaient fouettés aux verges, parfois décapités ou brûlés vifs. Ces châtiments si cruels étaient cependant rares : ils n'étaient employés que contre ceux qui avaient blasphémé les dieux, compromis le salut de l'armée, tenté de déserter ou entretenu des intelligences avec les Romains. Les mutilés, renvoyés chez eux, montraient à toute la Gaule la trace sanglante de la puissance de l'Arverne, lequel attirait l'envie et la haine de certains chefs qui ne dédaignaient pas comploter contre lui, encouragés par César et ses subsides.
         Toutefois, si Vercingétorix avait ses adversaires, un groupe nombreux d'amis l'entourait, hommes audacieux et intelligents comme lui. Des hommes bien différents aidèrent avec une égale fidélité celui que les Arvernes venaient de proclamer roi de leur cité, en qui ils retrouvaient tous quelques-unes de leurs passions ou de leurs espérances. Ces soutiens de la première heure, qu'ils soient arvernes comme lui, sénons, éduens, cadurques ou atrébates, occupèrent les postes de commandement de l'armée du penn-tiern.
         Cette s
évérité extrême, alliée à une maîtrise exceptionnelle du commandement, me décidèrent à m'engager sans tarder et à solliciter mon intégration dans la troupe régulière. Je savais certes le peu de chance que j'avais de parvenir à mes fins, mais je tentai de jouer mon va-tout : j'allai trouver l'Arverne Vercassivellaunos, le cousin de Vercingétorix, et l'un des rares de sa famille qui fussent dévoués corps et âme à la cause de l'indépendance. Il me reçut dans son bivouac.
         C'était un homme grand, robuste, aux jambes et aux bras fortement musclés, avec de larges mains et de solides pieds, le teint blanc et rose, les yeux noirs et éveillés, une chevelure épaisse, brune et bouclée. Il portait ses moustaches noires à la celte ; mais le poil de sa barbe était si dru sur son visage que, bien qu'il fût rasé de la veille, le menton était déjà bleu. Il m'accueillit d'un air avenant : « J'ai entendu ton nom, l'autre nuit, dans la forêt des Carnutes. Il se dit que tu as participé à la guerre des Vénètes, et que tu es venu à l'assemblée sans aucun de tes chevaliers. Pourquoi n'es-tu pas reparti dans tes terres de l'est avec les autres chefs médiomatrices afin de rallier toute ta cité à notre cause ? » Il m'écouta avec grande attention, mais du coin de l'œil il m'observait, me jaugeait, m'évaluait.
         Puis Vercassivellaunos déclara : « Ainsi tu es résolu à guerroyer au sein de nos montagnes ? Approche-toi donc de ce feu : tu n'es guère chaudement vêtu pour la saison. Il te faudra comme à moi des braies de grosse laine, une tunique en peau de mouton et une bonne caracalle de berger sur les épaules. C'est qu'il fait très froid dans nos montagnes d'Arvernie ! » Il me questionna ensuite sur les Rèmes et les Leuques, les Trévires et les Triboques, tous peuples voisins de Divodurum, s'informant de ce qu'ils pouvaient produire en grains, en fourrage, en chevaux, en bétail, des contingents qu'ils étaient en état de mettre rapidement sur pied, de la valeur des chefs. Puis il se leva et s'exclama : « Sois le bienvenu ! Dès l'instant, tu deviens mon ordonnance. Il y aura de beaux coups de lance à donner et tu ne seras pas de trop à mes côtés. » Je demandai à ne pas être séparé de mon écuyer Exobnos, ce qui me fut accordé aussitôt.
         « Nous partons à l'aurore de demain. Je serai heureux de ta compagnie. Un mot encore. Vercingétorix a le cœur chaud, mais il est d'un abord un peu intimidant. C'est un volcan sous la neige, pareil aux montagnes de chez nous. Ne te trouble pas s'il te regarde quelque temps sans parler, avec ses yeux froids comme de l'acier. Surtout prépare-toi à obéir ponctuellement, car il ne badine pas sur la discipline. Quant au reste, tu n'as pas à t'inquiéter : pour ton compagnon et toi, tu toucheras la solde, les rations de fourrage et de vivres. Tout se passe en règle dans notre armée. Nous combattons les Romains avec l'ordre romain et la tactique romaine, et ce sera sur des rançons romaines que nous nous payerons.
- Je suis ici pour obéir, au besoin pour mourir.
- C'est ce que j'avais compris en t'écoutant. A bientôt ! Nous partons demain, au petit jour.





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