chronique 2 - Nos ancêtres les Celtes
Les origines des Celtes demeurent obscures. Deux faits cependant permettent de fixer le berceau de ces populations en Europe centrale et occidentale : - d'une part, la permanence, à travers les époques successives de l'Age des métaux, d'une zone de peuplement et de civilisation homogène, s'étendant sur la partie méridionale et occidentale de l'Allemagne et sur la France de l'Est. Dans cette région, une véritable continuité culturelle se manifeste dans les rites funéraires et dans les divers aspects de la civilisation matérielle, la céramique et les objets. - d'autre part, l'existence, de la Lorraine et de l'Alsace jusqu'à la Bohème, de très anciens toponymes d'origine celtique pour désigner les montagnes et les rivières.
De nombreux peuples sont venus s'établir, par vagues successives, sur les terres que nous habitons. Tous ces peuples ont pu, tour à tour, laisser leurs marques sur les noms de nos montagnes, de nos cours d'eau, de nos villes et villages. Des éléments si divers par leur origine ne le sont pas moins par leur signification. Ils indiquent tantôt la configuration ou la nature du sol, tantôt les espèces animales ou végétales qui y vivent, d'autres fois la destination que les lieux ont reçue du fait des hommes ; ou bien encore ils nous ont conservé la mémoire d'anciens événements, quand ce n'est pas le nom des personnages qui ont créé ou transformé les agglomérations de population. La connaissance des langues anciennes et des langues régionales permet très souvent de retrouver le sens oublié de nombreux toponymes qui ont traversé les siècles pour arriver jusqu'à nous. Ainsi les toponymistes ont-ils identifié une racine celtique dans la structure des noms de la plupart des montagnes et rivières de notre région, la Lorraine. Demeurés dans l'usage pour désigner les lieux qui nous entourent, et ce depuis l'époque où les Celtes peuplaient le territoire, leur signification première échappe aux Lorrains du XXIe siècle. Ils ont cependant gardé leur double fonction, qui est de désigner un lieu et d'en décrire la nature.
Quelques exemples
Vosegus » ou « Vogesus » (d'où le mot de « Vogesen » donné par les Allemands aux Vosges). C'était le nom d'un dieu local, assimilé par les Romains à un « Mercure au cerf ». Parmi les nombreuses antiquités retrouvées au Donon figurent les restes d'un temple dédié à Vosegus, qui signifierait « la grande force ».
La « celtisation » d'une partie de l' Europe
Dans la longue histoire des peuples celtes, qui court sur près de deux mille ans, au moins, les ethnologues distinguent plusieurs grandes périodes, s'étalant de l'âge du bronze (entre 1.800 et 1.600 avant J-C) jusqu'à la romanisation des territoires celtes, lorsque les structures administratives et politiques romaines supplantèrent ou assimilèrent l'organisation celtique.
- Entre 1.800 et 1.200 avant J-C, il s'est formé une zone de peuplement et une civilisation qualifiée de « proto-celtique », celle des premiers Celtes, qui, partant de l'Allemagne du Sud, gagna une partie de l'Europe centrale et occidentale. * colonnes d'Hercule : nom donné, dans l'Antiquité, aux montagnes qui bordent le détroit de Gibraltar, à l'extrême sud de la péninsule ibérique
La société celtique avait évolué dans sa structure sociale et dans son organisation économique à la suite de l'arrivée, vers 800 / 750 avant J-C, de nouvelles tribus venues des régions situées au bord de la mer Noire. Chassé lui-même vers l'Est par les Scythes qui venaient des steppes eurasiennes d'au-delà de la Volga, le peuple nomade des cavaliers cimmériens, appelés aussi « Kimris » par les historiens français, avait déferlé dans les Balkans. Ces tribus apportaient avec elles des méthodes nouvelles de dressage et de monte des chevaux, ainsi que l'artisanat du fer. L'arrivée des cavaliers cimmériens dans la vallée du Danube semble avoir eu deux conséquences pour l'Occident celtique : d'une part la rapide extension de la métallurgie du fer, encore très mal connue des Celtes ; d'autre part, une nouvelle différenciation sociale, avec l'apparition d'une caste aristocratique de cavaliers, armés d'une solide épée de fer. L'un et l'autre de ces faits présentaient une très grande importance pour l'évolution du milieu celtique. La vulgarisation des procédés d'utilisation du minerai de fer, beaucoup plus répandu et plus facile à exploiter que les minerais de cuivre et d'étain, devait permettre aux Celtes de fabriquer presque partout, par leurs propres moyens, des armes et des outils solides, plus résistants et plus coupants. Par ailleurs, c'est à cette époque que la société gauloise semble avoir commencé à s'organiser, avec le début de la prédominance d'une caste aristocratique et guerrière de cavaliers ou de conducteurs de chars. A l'époque de César encore, les nobles gaulois portaient le nom d'« equites », que l'on peut traduire par « chevaliers ». Les spécialistes de l'Antiquité estiment que c'est à ce moment que les Celtes entrèrent dans l'histoire des civilisations, en créant une forme d'art qui leur est propre. Les sites fortifiés se multiplièrent, commandés par une aristocratie qui s'enrichissait en contrôlant les voies de passage des marchandises. De véritables cours princières se constituèrent, ainsi qu'en témoigne la tombe de Vix, commune située dans le département de la Côte-d'Or, sur un territoire jadis occupé par le peuple gaulois des Lingons. La sépulture de la Dame de Vix date de cette époque fastueuse de la civilisation celtique, située entre le milieu du VIe siècle et le milieu du Ve siècle avant J-C : dans une chambre funéraire de 9 mètres carrés, reposant sur un char à quatre roues et parée de nombreux bijoux en or, en bronze, en schiste et en perles d'ambre, a été déposée la dépouille de cette femme qui fut sans doute l'une des plus puissantes au cœur de la Gaule, entourée d'un mobilier funéraire excessivement riche et complexe.
- C'est entre 500 à 200 avant notre ère, au « Second âge du fer », période dite de « la Tène », que commença la grande expansion des divers peuples celtes, lesquels essaimèrent progressivement dans toute l'Europe, du nord au sud, de l'est à l'ouest. Ils poussèrent jusqu'en Ukraine, atteignirent la Grèce et l'Asie Mineure, où ils fondèrent la Galatie. Ils gagnèrent progressivement la Gaule toute entière, une bonne partie de la péninsule ibérique et le tiers de l'Italie, où ils menacèrent Rome. Des vagues de peuplement se poursuivirent en Grande-Bretagne et en Irlande. On ne connaît pas avec précision les raisons qui poussèrent les Celtes à se répandre ainsi : surpopulation, peut-être, ou encore pression de la part des peuples situés plus à l'est. Cette expansion se fit par vagues progressives et successives, une nouvelle vague celte subjuguant soit des peuplades autochtones, souvent d'origine non indo-européenne, soit des couches de population celtes plus anciennes arrivées parfois depuis plusieurs siècles. Ce fut notamment le cas lorsque les « Belges » envahirent vers les Ve et IVe siècles le nord de la Gaule puis le sud de la Bretagne insulaire, territoires déjà celtisés aux environs du VIIIe siècle. Bien que l'installation de ces peuples migrants ait pu souvent se faire par la force, les envahisseurs se posant alors en nouvelle aristocratie guerrière, il ne faut en aucun cas croire que la mutation culturelle des populations antérieures, indo-européennes ou pas, se fit par le biais d'une élimination physique massive ou même d'un asservissement brutal. De même que les Romains n'ont pas « purifié ethniquement » la Gaule lorsqu'ils s'y installèrent, les Celtes n'ont pas exterminé les populations d'origine pour imposer leur langue et leur culture. Il faut plutôt songer à une superposition, voire une symbiose, de la culture nouvelle sur la culture ancienne. Les nouvelles populations se mélangèrent à celles qu'elles trouvèrent sur les territoires qu'elles convoitaient, et c'est ainsi que le peuple celte devint un peuple de métissage, du latin « mixticius », qui signifie « mélangé, mêlé ». Nos ancêtres les Celtes doivent être vus comme un peuple emprunt de mélanges avec d'autres civilisations, telles celle des Ibères d'Espagne et du Portugal, celle des Ligures de la Gaule méridionale, ou encore celle des indigènes du Danube, voire des peuplades venant des bords de la mer du Nord et de la Baltique. Ces extraordinaires brassages de populations font que l'on ne peut parler de « race » lorsque sont évoquées les notions de Celtes, de « celtisme », de « celticité » ou de « celtitude ». Il n'y a pas de « race celte », ni même de type morphologique particulier. Le Celte n'a aucun marqueur génétique particulier par rapport à ses camarades indo-européens et ne se démarque pas beaucoup dans ses caractères physiques d'un Nordique ou d'un Latin. La blondeur légendaire des Gaulois était d'ailleurs en général obtenue par décoloration des cheveux à la chaux ! Ne connaissant pas d'unité politique, les Celtes formaient de nombreuses tribus indépendantes les unes des autres, appartenant toutefois à la même civilisation, constituée de multiples apports culturels combinés au cours des siècles : même mode de vie et de pensée, mêmes lois, mêmes coutumes et mêmes pratiques religieuses, assortis de nombreux rites qui formaient le ciment unissant les divers groupes. Toutes les tribus ne parlaient pas nécessairement la même langue, mais celle-ci avait cependant la même origine indo-européenne. Se fixant les unes parmi les autres, ces peuplades maintinrent les unes et les autres leur parler, vecteur de la communication. Certaines régions furent bilingues ou trilingues !
Le bilinguisme en Lorraine
Dans une étude très documentée parue en 1995, « L'origine de la frontière linguistique en Lorraine, la fin des mythes ? », l'historien mosellan Alain Simmer s'attache à détruire les thèses allemandes du début du XIXe siècle, lesquelles considéraient la frontière linguistique en Lorraine comme une conséquence de la colonisation franque du Ve siècle : les Francs auraient imposé leur langue, le francique, aux régions où ils s'installèrent, laquelle serait à l'origine des dialectes germaniques mosellans. Or Simmer démontre, découvertes archéologiques et anthropologiques à l'appui de sa thèse, que la frontière des parlers et dialectes que nous connaissons encore actuellement en Lorraine, et qui passe par Hesse, ne serait pas le signe d'un affrontement entre des peuples de culture et de langue différentes, mais plutôt un espace de cohabitation et de bilinguisme. Les parlers dits germaniques ou romans auraient déjà été présents lorsque des tribus celtes migrèrent et s'installèrent en force dans nos contrées, où d'autres peuples les avaient précédées. La mise en place de la répartition de ces parlers de part et d'autre de la frontière linguistique, laquelle, venant de Belgique, passe par Sarrebourg pour aller vers le Donon, se serait faite au temps où les peuples celtes cohabitaient avec d'autres peuples sur les mêmes territoires.
La fin de la « civilisation celte », au sens propre du terme
Au IIe siècle avant J-C, les diverses tribus occupaient des espaces bien délimités, les « civitates » ou cités, des territoires qui étaient devenus de petits états indépendants, avec leur gouvernement, leur administration et leurs institutions religieuses. Durant le dernier tiers du IIe siècle et le début du Ier siècle, les Celtes furent soumis sur le continent à la pression conjuguée des Germains à l'Est et des Romains au Sud. La domination romaine devait progressivement mettre fin à la civilisation proprement celte. Rome annexa le Sud de la Gaule, qui devint la « Provincia romana », notre Provence, vers 125 avant l'ère chrétienne, à la suite d'un appel à l'aide de son alliée la ville de Massalia*, menacée par les peuplades celtiques voisines. * Massalia, Marseille : fondée vers vers -560 par des Grecs de Phocée, la ville est alors une république, l'un des principaux ports maritimes de la Méditerranée occidentale. Elle est une alliée fidèle de Rome. La fédération des Salliens, composée de tribus celto-ligures, menaçait régulièrement leur voisine Massalia, laquelle, pour se protéger, fit appel aux Romains vers -125 .
Les invasions successives de bandes armées venant de l'est, telles que les Cimbres et les Teutons par exemple, ainsi que la pression démographique des Germains, mot signifiant « voisins », entraînèrent à plusieurs reprises de nouvelles migrations des tribus celtiques. Celles-ci se déplacèrent toujours vers l'ouest, et suscitèrent bien des tensions avec les peuplades déjà installées en Gaule. En 58 avant J-C, les Romains, déjà implantés dans le Sud, en « Provincia romana », intervinrent et menèrent pendant six ans la guerre des Gaules, annexant petit à petit de nombreux territoires gaulois. Une partie de la Gaule occupée par le conquérant romain se souleva en -52. Après la défaite à Alésia du chef de la coalition gauloise, Vercingétorix, les Gaules furent entièrement occupées. Les derniers opposants furent vaincus en -51 à Uxellodunum, oppidum gaulois situé dans le Quercy actuel, où ils s'étaient réfugiés. Cette date marqua la fin de l'indépendance celtique sur le continent.
La guerre des Gaules Une énigme subsiste cependant encore de nos jours : par quelles populations les Celtes avaient-ils été précédés en Europe ? Quels rapports eurent-ils avec elles ? Les ont-ils chassées ? Se sont-ils mêlés à elles, tout en les dominant, grâce à l'arme nouvelle et redoutable que fut leur épée de fer ? Cette dernière hypothèse est celle qui rencontre la faveur de la plupart des préhistoriens et des anthropologues.
3 - Les peuples de la Protohistoire
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