petites histoires ET grande HISTOIRE
Il faut connaître un peu de la grande Histoire pour bien comprendre la petite histoire de notre village. Si cela est vrai pour le temps présent, ça l'est encore plus pour les temps passés. Nous ne vivons pas seulement à notre époque, nous portons avec nous et en nous toute une histoire, enchevêtrement de toutes sortes d'histoires : notre histoire personnelle, faite de joies et de peines, de regrets et d'espérances ; notre histoire familiale, celle que l'on vit au jour le jour et celle ancrée dans nos souvenirs, conscients ou inconscients ; celle de notre village, de notre région, de notre pays ; l'histoire de notre langue ; celle de nos us et coutumes … Arrêtons là l'énumération, qui pourrait se poursuivre bien sûr !
Connaître son passé ne signifie cependant pas le ressasser et être écrasé par son poids. Au contraire, il s'agit de le conserver en soi-même afin de s'en nourrir, avec la certitude qu'un homme instruit du passé et conscient de son histoire sera capable de faire face à la frénésie médiatique actuelle et à l'orgie d'images qui engendrent une culture de l'éphémère et de la consommation immédiate. Ce même homme saura que l'importance absolue de l'évènement journalistique sera relativisée par le temps de l'Histoire.
D'autre part, lorsque les grands repères historiques sont intégrés et lorsque les principales connaissances de notre passé sont bien assimilées, nous disposons d'outils permettant une réflexion globale, mûre et maîtrisée, ainsi que d'un bagage culturel permettant de lutter contre la « Grande Déculturation » qui guetterait en ce XXIe siècle, si l'on en croit le polémiste Renaud Camus, une partie de la population française.
L' Histoire de la France
« Regards sur le monde actuel » est un essai écrit en 1931 par Paul Valéry, « l'un des esprits les plus puissants et les plus lucides du XXe siècle ». Au fil des pages, l'écrivain s'exprime sur des sujets aussi divers que l'histoire, la politique, l'art et la littérature. « Il remet en cause les lieux communs, bouleverse les idées reçues, dérange le lecteur dans ses convictions et l'incite à creuser toujours plus loin derrière la grandiloquence de concepts dont la superbe n'égale souvent que le néant qu'ils recouvrent, commente un critique littéraire sur le site « www.geekdelecture.fr ». Ces regards sont fascinants. Ils le sont tant par la justesse et la finesse de perception de leur auteur que par la prose délicieuse qui nous invite à en goûter les plus infimes nuances. C'est là avant tout l'œuvre d'un visionnaire. Un visionnaire qui nous dévoile la réalité du monde tel qu'il était alors et tel qu'il est devenu aujourd'hui. »
Voici quelques extraits de l'essai de Paul Valéry. Chacune des phrases suivantes semble avoir été écrite comme pour tisser un lien entre l'Histoire, la France, les Français, et notre village de Hesse ! Les Hessois d'aujourd'hui doivent ce qu'ils sont aux Hessois d'hier et d'avant-hier, de même que les Français d'aujourd'hui sont ce qu'ils sont grâce aux Celtes, aux Romains, aux Germains et autres peuples dits barbares qui ont laissé leur empreinte sur le sol du pays nommé aujourd'hui France.
De l'Histoire
« Le caractère réel de l'Histoire est de prendre part à l'histoire même. L'idée du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur que pour l'homme qui se trouve en soi-même une passion de l'avenir. L'avenir, par définition, n'a point d'image. L'histoire lui donne les moyens d'être pensé. Elle forme pour l'imagination une table de situations et de catastrophes, une galerie d'ancêtres, un formulaire d'actes, d'expressions, d'attitudes, de décisions offerts à notre instabilité et à notre incertitude, pour nous aider à devenir. »
De la France et des Français
« La terre de France est remarquable par la netteté de sa figure, par les différences de ses régions, par l'équilibre général de cette diversité de parties qui se conviennent, se groupent et se complètent assez bien. Une sorte de proportion heureuse existe en ce pays entre l'étendue des plaines et celle des montagnes, entre la surface totale et le développement des côtes ; et sur les côtes mêmes entre les falaises, les roches, les plages qui bordent de calcaire, de granit ou de sables le rivage de la France sur trois mers. La France est le seul pays d'Europe qui possède trois fronts de mer bien distincts. Quant aux ressources de surface ou de fond, on peut dire que peu de choses essentielles à la vie manquent à la France. Il s'y trouve beaucoup de terres à céréales ; d'illustres coteaux pour la vigne ; l'excellente pierre à bâtir et le fer y abondent. Il y a moins de charbon qu'il n'en faudrait de nos jours. D'autre part, l'ère moderne a créé des besoins nouveaux et intenses (quoique accidentels et peut-être éphémères) auxquels ce pays ne peut subvenir ou suffire par soi seul.
Sur cette terre vit un peuple dont l'histoire consiste principalement dans le travail incessant de sa propre formation. Qu'il s'agisse de sa constitution ethnique, qu'il s'agisse de sa constitution psychologique, ce peuple est plus que tout autre une création de son domaine et l'œuvre séculaire d'une certaine donnée géographique. Il n'est point de peuple qui ait des relations plus étroites avec le lieu du monde qu'il habite. On ne peut l'imaginer se déplaçant en masse, émigrant en bloc sous d'autres cieux, se détachant de la figure de la France. On ne peut concevoir ce peuple français en faisant abstraction de son lieu, auquel il doit non seulement les caractères ordinaires d'adaptation que tous les peuples reçoivent à la longue des sites qu'ils habitent, mais encore ce que l'on pourrait nommer sa formule de constitution, et sa loi propre de conservation comme entité nationale.
Ces circonstances naturelles, jointes à la qualité générale du sol, à la modération du climat, ont eu la plus grande influence sur le peuplement du territoire. Quelle qu'ait été la population primitive du pays — je veux dire la population qui a vécu sur cette terre à partir de l'époque où sa physionomie physique actuelle s'est fixée dans ses grands traits — cette population a été à bien des reprises modifiée, enrichie, appauvrie, reconstituée, refondue à toute époque par des apports et des accidents étonnamment variés ; elle a subi des invasions, des occupations, des infiltrations, des extinctions, des pertes et des gains incessants.
Le vent vivant des peuples, soufflant du Nord et de l'Est à intervalles intermittents, et avec des intensités variables, a porté vers l'Ouest, à travers les âges, des éléments ethniques très divers, qui, poussés successivement à la découverte des régions de l'extrême Occident de l'Europe, se sont enfin heurtés à des populations autochtones, ou déjà arrêtées par l'Océan et par les monts, et fixées. Ils ont trouvé devant eux des obstacles humains ou des barrières naturelles ; autour d'eux, un pays fertile et tempéré. Ces arrivants se sont établis, juxtaposés ou superposés aux groupes déjà installés, se faisant équilibre, se combinant peu à peu les uns aux autres, composant lentement leurs langues, leurs caractéristiques, leurs arts et leurs mœurs. Les immigrants ne vinrent pas seulement du Nord et de l'Est ; le Sud-Est et le Sud fournirent leurs contingents. Quelques Grecs par les rivages du Midi ; des effectifs romains assez faibles, sans doute, mais renouvelés pendant des siècles ; plus tard, des essaims de Mores — et de Sarrasins. Grecs ou Phéniciens, Latins et Sarrasins par le Sud, comme les Northmans par les côtes de la Manche et de l'Atlantique, ont pénétré dans le territoire par quantités assez peu considérables. Les masses les plus nombreuses furent vraisemblablement celles apportées par les courants de l'Est.
Quoi qu'il en soit, une carte où les mouvements de peuples seraient figurés comme le sont les déplacements aériens sur les cartes météorologiques, ferait apparaître le territoire français comme une aire où les courants humains se sont portés, mêlés, neutralisés et apaisés, par la fusion progressive et l'enchevêtrement de leurs tourbillons. »
Le terroir hessois est un telle aire où les tourbillons des courants humains se sont enchevêtrés pour finalement fusionner, probablement depuis le Néolithique. Afin de connaître les hommes qui ont vécu à Hesse avant nous, il nous faudra cependant attendre le XVIe siècle pour entrer dans leur vie privée, car c'est de cette époque que datent les premiers manuscrits relatant quelques pans de leur vie quotidienne. Leur existence aux XVIIe et XVIIIe siècles nous est mieux connue, puisque de nombreux écrits sont conservés aux Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle à Nancy : litiges et accommodements entre seigneurs, plaintes des habitants, contrats de mariage, inventaires après décès, aveu et dénombrement du seigneur, visites de la paroisse, pied-terrier, rapports des plaids annaux, censiers, baux de fermage, procès de toutes sortes dont un en sorcellerie, cahier de doléances, etc … La signification de ces termes datant d'une époque révolue vous sera révélée au fur et à mesure que vous seront présentés les divers manuscrits.
Quant à la vie de nos ancêtres au cours des siècles précédents, qui couvrent les périodes antique et médiévale, ce sont divers historiens, archéologues ou chroniqueurs qui en brosseront le tableau. « L'histoire n'est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont ses pages blanches », assurait le philosophe Hegel. Cette réflexion s'applique à l'histoire des Hessois telle que la dévoilent leurs écrits : la misère des uns côtoyait la cupidité, le mépris et l'arrogance des autres. D'un côté l'homme du terroir, le manant, cet « être puant sorti du pet d'un âne » ainsi que l'on disait au Moyen Age ; en face le seigneur ou son fermier, investis l'un et l'autre de droits obstinément refusés aux autres, ces « animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible : ils ont comme une voix articulée ; et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine et, en effet, ils sont des hommes. »
Ce portrait est signé La Bruyère, lequel décrivait au XVIIe siècle, avec ô combien de lucidité, la société féodale dans laquelle il évoluait : « En haut, la hiérarchie aristocratique de la noblesse laïque et ecclésiastique, depuis le plus petit baronnet et le simple moine mendiant jusqu'au roi et au pape ; en bas, le grouillement roturier du peuple composé des esclaves, des serfs, des croquants, des vilains, des valets, attachés à la glèbe, au métier, à la domesticité. En haut, les parasites que la force, et non la vertu, a pourvus de domaines et de revenus, la noblesse de sang, de distinction, d'origine, d'épée et de robe, dont le droit à ne rien faire était héréditaire et qui auraient dérogé, se seraient exposés à perdre les avantages de leur noblesse, s'ils avaient travaillé. En bas, toute la masse du peuple condamné à travailler pour eux, à leur obéir, à les servir.
Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposés, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux ; l'un ne se forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont utiles, l'autre y joint les pernicieuses ; là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise, ici se cache une sève maligne et corrompue sous l'écorce de la politesse. Le peuple n'a guère d'esprit et les grands n'ont point d'âme. Celui-là a un bon fonds et n'a point de dehors ; ceux-ci n'ont que des dehors et qu'une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas, je veux être peuple. »
C'était ça, Hesse : le peuple, la populace, la canaille, les rustres ou rustauds, les vilains et les croquants, les manants et les roturiers, les pauvres et les misérables, les gueux, la sage-femme, les laboureurs, les manouvriers ou brassiers, les artisans, tels que tailleur, cordonnier, tisserand, tonnelier, cordier, menuisier, charpentier, maçon, ferronnier, maréchal-ferrant, aubergiste ou hostellain, les pâtres, bergers et porchers, les fermiers ou moitriers, le meunier, le maître d'école, le prieur-curé. L'ensemble des droits et des devoirs de chacun, possédés et subis depuis un temps immémorial, constituait la coutume de Hesse, qui est, selon le Précis Dalloz, « l'usage juridique oral, consacré par le temps et accepté par la population d'un territoire déterminé. »
Les joueurs de dés - chapiteau sculpté / Eglise de Hesse
lire les rubriques
1- Les premiers habitants du terroir qui porte aujourd'hui le nom de Hesse
2- Le pays de Sarrebourg après la conquête romaine
3- Histoire vraie ou élucubration ?
4- Romanisation des campagnes de Gaule
5- Evangélisation des populations rurales
6- Germanisation de la Gaule romaine
7- Le toponyme HESSE
8- Hesse, terre d'Empire
9- Les comtes de Dabo, seigneurs de Hesse
10- La Terre et seigneurie de Hesse
Bibliographie pour ces diverses rubriques
- « Chronique de Richert » / Extraits
- « Commentaires sur la guerre des Gaules » / Jules César
- « Cours d'histoire Moderne» / François Guizot / 1828
- « Dictionnaire roman, walon, celtique et tudesque » / Jean François
- « Dictionnaire topographique du département de la Meurthe » / Lepage / 1862
- « Glossaire de termes dialectaux - Les noms de lieux en France » / André Prégorier / Commission de toponymie / 2006
- « Histoire administrative de la Lorraine / J-Louis Masson
- « Histoire de la campagne française » / Gaston Roupnel
- « Histoire de la Gaule » / Camille Jullian
- « Histoire de la Lorraine » / Robert Parisot
- « Histoire de Sarrebourg » / ouvrage collectif / 1993
- « Histoire des Gaules / Louis-Philippe de Ségur / 1824
- « Histoire des paysans de France » / Gérard Walter
- « L'origine de la frontière linguistique en Lorraine - La fin des mythes » / Alain Simmer / 1998
- « La France des origines à la guerre de cent ans » / Ferdinand Lot
- « La langue gauloise, description linguistique, commentaire d'inscriptions choisies » / Pierre-Yves Lambert
- « La maison et le chemin : petit essai de philologie théologique » / Pascale Hummel
- « La Moselle gallo-romaine » / Marcel Lutz
- « La romanisation en question » / article Patrick Le Roux / paru dans « Annales/Histoire, Sciences Sociales 2004 / 59e année »
- « Le culte de St Martin à l'époque franque » / Eugen Ewig /Revue d'histoire de l'Eglise de France / Tome 47, N° 144, 1961
- « Le Moyen Âge, XIe- XVe siècle »/ Michel Kaplan et Patrick Boucheron
- « Les cités et l'organisation politique de l'espace en Gaule mérovingienne au VIe siècle » / Marcelo Candido Da Silva / Histoire urbaine / 2001
- « Les Gaulois / Jean-Louis Brunaux - « Les Gaulois » / Régine Pernoud
- « Les Institutions d'Europe occidentale au moyen âge » / Léopold Genicot / dans Revue belge de philologie et d'histoire
- « Les noms d'origine gauloise, la Gaule des combats » / Jacques Lacroix, 2003
- « Manuel de géographie historique de la France » / Albert et Léon Mirot / 1979
- « Pour une mise à jour des notices historiques consacrées aux emprunts à l'ancien francique dans le Trésor de la langue française informatisé » / Martina Pitz / 2006 / publication électronique (www.atilf/seminaires/Seminaire Pitz 2006-11.pdf)
- « Regard sur la Gaule » / Christian Goudineau / 1998
- « Romanisation et développement dans les campagnes des Gaules » / article Frédéric Trément (Université Clermont-Ferrand)
- « Vivre en Lorraine gallo-romaine » / Jeanne-Marie Demarolle
- Poème d'Adalbéron au Roi Robert
sites Internet
- ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/archives/civilisation/richebourg.pdf (maquette domaine agricole de Richebourg)
- agora.qc.ca/Documents/Charlemagne/Eginhard
- archeographe.net/Le-Musee-du-Pays-de-Sarrebourg (maquettes St Ulrich)
- archive.org/stream.ToponymieNamuroise
- encyclopedie.arbre-celtique.com/mots-et-etymons-de-la-langue-gauloise
- fr.wikipédia.org
- gvs.pagesperso-orange.fr/photos
- herodote.net/Histoire/Le haut Moyen Age
- hist-europe.fr/grecs/celtes.html
- larousse.fr/encyclopedie
- lepoint.fr/archive (article François Giron « Nos ancêtres les Gallo-Romains »)
- mediterranee-antique.info
- persée.fr (Robert Latouche /« Aspect démocratique de la crise des grandes invasions » / in Population 2e année N°4)
- wa.wikipédia.org